L'Inédit

par notreHistoire


Le chef cuisinier et sa brigade au camp de Tramelan

Le chef cuisinier et sa brigade au camp de Tramelan

Coll. M.-A. Lovis/notreHistoire.ch

Couteau en main, Armando Bottacchi pose avec ses camarades internés au camp de Tramelan-Les Reussilles, durant la Deuxième Guerre mondiale. Comment ce jeune Italien s’est-il retrouvé interné dans le Jura ? Retour sur le parcours mouvementé d’un homme ordinaire, pris dans les tourments de la guerre. Né le 29 octobre 1925 à Oggiono, sur la rive droite du lac Majeur, à 20 km du Tessin, Armando Bottacchi avait fait ses gammes comme apprenti dans de grands hôtels à Milan et à Courmayeur. Mais la guerre est passée par là.

En été 1943, la Sicile est en proie aux troubles. Les Alliés débarquent. Le régime fasciste s’effondre. Le 9 septembre, le Grand Hôtel de Riccione, sur la côte adriatique, où Bottacchi était employé, doit fermer. Chômage technique. Le mirliton rentre au bercail au moment où Benito Mussolini fonde dans le Nord de l’Italie l’éphémère et fantoche République de Salò (septembre 1943-avril 1945).

Maquis en hiver

Les jeunes Italiens sont alors incités à incorporer les rangs de l’armée de Salò. Armando Bottacchi refuse et s’enfuit d’Oggiogno pour rejoindre, dans les montagnes, un groupe de résistants armés commandé par le capitaine Filippo Beltrami. Suivront quatre mois de maquis pour le jeune cuistot. Avec le danger réel d’une capture jusqu’en janvier 1944. Les troupes fascistes passent au crible la région et tentent de mettre la main sur chaque déserteur potentiel. La frontière suisse n’est pas loin. Armando Bottacchi prend son courage à deux mains et parcourt en plein hiver des sentiers sinueux jusqu’à Piodina, hameau reculé dans les environs de Brissago. Son effort se brise sur l’intransigeance des policiers suisses qui le refoulent. Motif : le nouvel arrivant était incapable de fournir la preuve de son enrôlement de force au sein des troupes de Mussolini. Première tentative de fuite ratée. Retour à la case départ. Voilà Armando errant dans la nuit sur la route du retour forcé vers Oggiogno.

Livret de réfugié d’Armando Bottacchi, 30 mars 1944.

Coll. M.-A. Lovis/notreHistoire.ch

Fascistes italiens et soldats allemands battent la campagne, ratissent large. A bout, Armando Bottacchi tente quelques semaines plus tard, en février 1944, une deuxième tentative de fuite en direction de la Suisse. Direction Brissago à nouveau. Là-bas, des membres de sa famille possèdent une pension. Puis vers Bellinzone, caché dans un camion. Dans le chef-lieu tessinois, la police suisse l’interroge sérieusement. Trois interrogatoires. Il avoue avoir participé avec des résistants au saccage du siège du parti fasciste à Intra, au bord du Lac Majeur. Mais il tait à la police sa première tentative de fuite en Suisse de peur d’être refoulé. Le Département fédéral de justice et police l’accepte finalement en tant que « réfugié civil » ayant demandé l’asile pour des raisons politiques.

Plus d’un an à Tramelan

Après un passage obligatoire au camp de Büsserach (SO) pour désinfection et une mise en quarantaine, le jeune réfugié rejoint le camp d’internés de Tramelan le 20 mars 1944. Il y restera plus d’une année, jusqu’au 4 mai 1945. D’après ses souvenirs compilés par Marie-Angèle Lovis dans le Bulletin de la Société jurassienne des officiers, deux camps cohabitaient à Tramelan : un pour les civils et un pour les militaires. A son arrivée, une cinquantaine de réfugiés civils du nord de l’Italie y séjournaient. Parmi eux des réfugiés juifs. Armando Bottacchi se voit confier le poste de chef-cuisinier du camp. Une aubaine pour les ressortissants italiens présents. Les gnocchis aux pommes de terre remplaceront à leur goût avantageusement les habituels roestis du coin.

Il lui arrivait aussi d’aller rejoindre d’autres réfugiés qui travaillaient dans les tourbières afin d’extraire des briquettes. Des travaux rémunérés qui offraient une certaine autonomie financière aux internés. En congé, ces derniers descendaient des Reussilles jusqu’à Tramelan pour y boire un coup. Aucune tension n’a été ressentie au sein de la population locale, se rappelait Bottacchi. « On était respecté car on respectait tout le monde. On ne s’est jamais permis de faire quelque chose de pas bien ». Notamment avec les filles du village. Des virées à skis dans les Franches-Montagnes étaient organisées ainsi qu’une journée d’agrément au fameux Marché-Concours hippique de Saignelégier.

Retour désenchanté 

Le 25 avril 1945, la République éphémère de Salò sombre corps et âme. Dix jours plus tard, Bottacchi obtient son avis de sortie du camp de Tramelan-Les Reussilles. Le retour en Italie est assez expéditif : départ du Jura bernois en train jusqu’à Domodossola. Puis jusqu’à Verbania et Intra. Enfin, treize kilomètres à pied pour rejoindre la maison familiale à Oggiogno. Là, il retrouve ses parents sains et saufs. Mais de retour a la casa, Armando Bottacchi va rapidement déchanter et regretter le bon temps passé à Tramelan. Qualifié de déserteur par le pouvoir transitoire en place en Italie, il est contraint d’accomplir 18 mois de service militaire dès 1948. Il reprendra ensuite son métier de cuisinier dans différents hôtels avant de servir la Compagnie internationale des wagons-lits. Point d’orgue d’un destin étonnant : Armando Bottacchi sera nommé responsable du pavillon qui abritera le restaurant italien aux Jeux olympiques d’été de Rome en 1960. Il décède le 30 avril 2011 à Milan, là où l’ancien maître queux de Tramelan avait finalement élu domicile.

Fiche de sortie du camp de Tramelan d’Armando Bottachi.

Coll. M.-A. Lovis/notreHistoire.ch

D’autres camps d’internés et de réfugiés ont été ouverts pendant la Deuxième Guerre mondiale dans le Jura. A Bassecourt, une soixantaine de réfugiés politiques d’extrême-gauche étaient internés en 1944. Des Allemands, des Autrichiens, des Espagnols, mais également des Italiens. Pas très loin du Jura, à Granges, dans le canton de Soleure, des internés polonais avaient séjourné au plus fort de la guerre, entre avril 1942 et juillet 1943. ­■

Références

Marie-Angèle Lovis, Bulletin de la Société jurassienne des officiers, numéro 28, février 2012, pp. 71-79

A consulter également sur notreHistoire.ch

D’autres photos des réfugiés italiens, camp de Tramelan, 1944-1945
Les Spahis – retraite, asile et hébergement en Suisse (1940-1941)

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

1934

Coll. Jacky Mercier / notreHistoire.ch

Une nouvelle publication digitale se lance en Suisse romande : L’Inédit. Magazine numérique en libre accès, L’Inédit est en ligne dès aujourd’hui, 24 octobre 2019, à la veille de la Journée mondiale du patrimoine audiovisuel de l’UNESCO. Une manière originale et… inédite de découvrir l’Histoire des Romands à travers leurs archives de famille.

Chaque jour de la semaine, nous publierons un article qui s’appuiera sur une photo ou un film d’archives en ligne sur notreHistoire.ch. Ce travail, nous le mènerons avec des historiens, des journalistes et des auteurs. Dans notre rubrique Témoignages, nous reprendrons également des récits de membres publiés sur la plateforme car leurs écrits apporteront une dimension indispensable et précieuse à L’Inédit.

Nous souhaitons ainsi que l’écrit agisse comme un révélateur de l’image, offrant de la voir autrement, d’en saisir le contexte historique et de l’apprécier au-delà du simple plaisir de sa découverte. Ce lien entre l’image et le texte permet d’ailleurs de ne pas hiérarchiser la variété des parutions : tous les sujets ont leur importance, ce qui exprime bien, au demeurant, la ligne éditoriale de L’Inédit, inscrite dans le prolongement de notreHistoire.ch : chacun, avec sa propre histoire, peut trouver une place dans notre Histoire commune.

Un flux et des rubriques

Magazine numérique, L’Inédit fait siennes les pratiques contemporaines de lecture sur tous supports numériques, dans un flux d’articles, classés également par rubriques. Les articles sont d’abord accessibles sur la page d’accueil, puis par les rubriques ou la recherche. Vous pouvez également lire l’ensemble des articles d’un auteur en utilisant la rubrique contributeur. D’autres auteurs nous rejoindront, des nouvelles rubriques seront lancées, nous imaginons déjà un feuilleton, des quinzaines spéciales faisant appel à des écrivains… nous envies sont grandes. Edité par la FONSART (fondation pour la sauvegarde des archives audiovisuelles de la Radio Télévision Suisse), L’Inédit est en libre accès. En vous inscrivant à notre newsletter, vous serez informé régulièrement de nos publications.

Nous tenons à remercier chaleureusement les membres de notreHistoire.ch qui, par leur engagement sur la plateforme et la publication de leurs archives personnelles, contribuent à faire de notreHistoire.ch depuis dix ans une aventure éditoriale unique en Suisse romande, aventure – le mot n’est pas galvaudé – qui prend une nouvelle dimension avec L’Inédit. Nos remerciements s’adressent également à ceux qui ont travaillé pour la préparation de ce magazine, particulièrement Patrick Auderset pour la partie rédactionnelle, Gaël Paccard pour le graphisme, et l’équipe de développeurs de la HEIG-VD d’Yverdon-les-Bains, conduite par Laurent Bolli et Stéphane Lecorney.

Où commence l’Histoire?

L’écrivain Klaus Mann écrit, dans le prologue du «Tournant », son autobiographie achevée peu avant sa mort, en 1949 : « Où l’Histoire commence-t-elle ? Où notre vie individuelle prend-elle sa source ? (…) Sans aucun doute, nous avons des racines plus profondes que notre conscience ne veut l’admettre. Rien ni personne n’a d’existence indépendante… Un rythme universel détermine nos pensées et nos actes ; la courbe de notre destin fait partie d’une formidable mosaïque… »

Où l’Histoire commence-t-elle ? Où notre vie individuelle prend-elle sa source ? Nous sommes convaincus que des éléments de réponse, si fragmentés soient-ils, sont aussi à chercher dans les images de nos albums de famille. C’est du moins le sens de notre travail commun, depuis dix ans, sur notreHistoire.ch, où public et institutions croisent leurs archives. Photos tirées d’album de famille, films amateurs, fonds audiovisuels d’institutions, témoignages écrits… autant de traces merveilleuses, d’incrustations en noir et blanc ou aux couleurs lavées de « cette formidable mosaïque » dont les reflets tantôt sombres, tantôt chatoyants ne demandent rien d’autre que notre attention et si peu de notre temps. Pourquoi L’Inédit ? Sinon pour favoriser cette attention, et faire de l’histoire des gens, illustrée par leurs photos de famille, le témoin émouvant de notre histoire collective.

Nous vous invitons donc à vous inscrire, ou à consulter régulièrement L’Inédit, à porter notre publication autour de vous, à partager vos lectures. Soyez les bienvenus dans votre histoire!

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

Le Général Guisan à la plage de Villette 1944

Bron photo, coll. Eric Ceppi/notreHistoire.ch

Nous sommes le 6 mai 1944. Dans un mois va se dérouler, sur les côtes de la Manche, la plus formidable opération amphibie de tous les temps, le débarquement des forces alliées partant à l’assaut de la Festung Europa fortifiée par le maréchal Erwin Rommel. à Villette, sur les rives du Léman, le général Henri Guisan teste ce même jour une embarcation légère, à huit rameurs, résolument civile. La société locale de sauvetage baptise en effet un canot tout neuf, portant le nom du commandant en chef de l’armée suisse « par autorisation spéciale » de l’intéressé, « un geste que la population de Villette n’oubliera pas », assure la Gazette de Lausanne. Le cavalier et gentleman farmer Guisan, au vrai, ne semble pas trop à l’aise dans l’embarcation.

A circonstance exceptionnelle, manifestation grandiose. Le programme comporte un culte matinal au temple, des courses de canots opposant les sections régionales du Sauvetage (les voisins français, occupés, ne sont hélas pas de la fête), on entend la fanfare de Grandvaux et le chœur mixte de Villette-Aran, on écoute enfin des discours dans une cantine bondée. La Feuille d’Avis de Lausanne relève la présence des syndics du coin, de deux conseillers nationaux venus en voisins – Paul Chaudet de Rivaz et Frédéric Fauquex de Riex – « et de tout ce que le Léman compte comme fidèles habitués de ces fêtes ». On aime le lac et les sauveteurs sont admirés, certes, mais la foule est surtout venue applaudir le général.

Une figure paternelle

Il le sait, et il aime ça. La popularité d’Henri Guisan n’a fait que croître depuis son élection par les Chambres fédérales en août 1939. Il l’entretient par une débauche de visites, inaugurations, dîners, apéros et réceptions aux quatre coins de la Suisse. Un satiriste français le caricature étudiant la carte… des mets, serviette autour du cou, et le baptise « Riquet la Fourchette ». Futiles occupations, mais indispensables. La cote d’amour du général est un facteur stratégique : il est censé incarner l’unité du pays, contrairement à ce qu’on vit lors de la Première Guerre mondiale (le « fossé moral » de 1917 entre Welsches et Alémaniques). La figure paternelle de Guisan rassure les Suisses, et son rayonnement assure l’armée que tout le peuple est derrière elle, même lorsqu’elle se retire dans le Réduit alpin.

Après la guerre, Guisan ne désarmerait pas sur le front des acclamations, auxquelles il n’était pas du tout allergique. Refusant peu d’invitations, il aimait aussi être applaudi aux manifestations culturelles ou sportives qu’il honorait spontanément de sa présence. Il s’y pointait volontiers avec un léger retard, pour que son arrivée ne passe pas inaperçue : « Nous avons le plaisir, annonçait le speaker du stade, de saluer la présence du général Guisan ! » Ovation dans les tribunes. Personne ne reçut, en Suisse, d’aussi grandioses funérailles, et sa popularité muta, sans faiblir, après sa mort : l’historien Willi Gautschi conclut sa biographie monumentale du Vaudois sur un chapitre justement intitulé « vénération posthume ».

Reste le lac, élément essentiel de cette histoire. Il n’est pas de héros vaudois qui ne baigne sa gloire dans le Léman. N’en déplaise aux Combiers, Ormonans, Broyards et autres citoyens périphériques, l’image quintessenciée du canton se cadre entre Lausanne et Lavaux, les pieds dans l’eau et les yeux sur la vigne. En ce sens, la popularité d’une figure vaudoise se parachève dans le rapport au lac. Le top, c’est d’être statufié, en bronze, sur la rive. Comme Henri Guisan à Pully, et Jean-Pascal Delamuraz à Ouchy.■

Recevez chaque semaine les articles de L’Inédit en vous inscrivant à notre newsletter

A consulter également sur notreHistoire.ch

Les autres photos de cette journée
La galerie du Général Guisan
Un autre Vaudois à l’inauguration d’une barque de sauvetage: Paul Chaudet, en 1968, une vidéo des archives de la RTS

Promenade sur le pont du Mont-Blanc

Coll. A. Salamin/notreHistoire.ch

Sur un des piliers bordant le pont du Mont-Blanc, trônant au-dessus de la tête de ce couple élégant, un panneau émaillé de la Ville de Genève rappelle qu’il est interdit de cracher par terre dans les années 1950.  Reliquat du temps maudit de la tuberculose, dans la première moitié du XXe siècle, quand le risque de contamination était partout où les hommes laissaient leurs miasmes dans l’espace public !  D’ailleurs, cette interdiction était aussi notifiée dans les trams genevois, pour preuve cette photo des années 1930 (regardez le détails, en haut de l’image) :

De face: Marthe Richon (1889-1973), enseignante à l'École Supérieure de Jeunes Filles. Coll J.C. Curtet.

Depuis les travaux de Pasteur à la fin du XIXe siècle, le crachat est dans la ligne de mire des autorités. En France, sous Pétain, une loi de 1942 interdit formellement de cracher par terre; travail, famille, patrie et… hygiène publique! Mais après la Seconde Guerre mondiale, les progrès de la médecine et l’éducation vont favoriser plus de civilité dans ce domaine. Il faudra attendre les années 1960 pour voir disparaître ces panneaux interdisant le cracher.

Et aujourd’hui ? On crache à nouveau, oui. Et surtout sur les terrains de foot. Nous sommes tous d’accord: pas une retransmission à la télévision d’un match sans quelques glaviots en direct ! Le retour de l’interdit se fait pourtant dans nos rues. Si en juin 2016, le Conseil national a refusé d’inscrire dans la loi la répression de la souillure dans l’espace public, les villes suisses prennent une à une les mesures qui s’imposent. A Lausanne, par exemple, tout employé communal assermenté peut amender un contrevenant pris en flagrant délit. Il vous en coûtera 100 francs, et inutile de plaider qu’aucun panneau l’interdit… ■

Références

Martin Monestier, Le Crachat. Beautés, techniques et bizarreries des mollards, glaviots et autres gluaux, au Cherche-Midi

A consulter également sur notreHistoire.ch

Quand la Suisse luttait contre la tuberculose: un choix de vidéos de la RTS

Ne ratez aucun article.

Recevez les articles de L’Inédit en vous abonnant à notre newsletter.

Merci pour votre inscription!